PubGazetteHaiti202005

Les USA et la France ont orchestré le coup d'état du 29 février 2004 contre Jean Bertrand Aristide pour avoir demandé restitution de la dette de l'indépendance, admet un ex ambassadeur français en Haïti

L'ex président Jean Bertrand Aristide

Selon le journal américain New York Times, les paiements à la France (dettes de l’indépendance) ont coûté au développement économique d’Haïti entre « 21 et 115 milliards de dollars de pertes sur deux siècles », soit une à huit fois le produit intérieur brut (PIB) d’Haïti en 2020. Dans la foulée, le journal révèle que l’éviction de Jean Bertrand Aristide survient après avoir demandé des réparations financières à la France.
 

Lors de ce fameux 7 avril 2003 sous la présidence de Jean Bertrand Aristide, le glas a sonné. « Réparation ! », tonne Jean-Bertrand Aristide, l’impétueux président haïtien, sous les vivats d’une foule d’agriculteurs, d’ouvriers et d’étudiants. Ce mot lâché par Jean Bertrand Aristide avait l’effet d’une bombe. Un véritable pavé dans la mare.
 
Ce jour-là, depuis sa loge, l’ambassadeur de France en Haïti dissimule son inquiétude derrière un sourire gêné. Avec grande stupéfaction, le président haïtien vient soudainement de demander des réparations financières à la France. L’annonce est une déflagration qui deviendra la pierre angulaire de son mandat — et participera à sa chute. « Il fallait essayer de le désamorcer », analyse rétrospectivement Yves Gaudeul, l’ambassadeur français de l’époque, comparant la demande de réparations à un « explosif. »
 
Aristide vient de ramener sur le tapis une histoire difficile à digérer par la France. C’est un véritable pan de l’histoire qui venait d’être exhumé par Aristide. Bien après que les Haïtiens eurent brisé leurs chaînes, repoussé les troupes napoléoniennes et proclamé leur indépendance, il y a 200 ans, les Français étaient revenus à bord de navires de guerre avec un ultimatum inédit : Haïti devrait payer une indemnité astronomique à ses anciens esclavagistes, ou affronter une nouvelle guerre.
 
Haïti a versé à la France l’équivalent de centaines de millions de dollars, selon une analyse de milliers de pages d’archives par The New York Times, enclenchant un cycle de dette perpétuelle qui a sapé son développement pendant plus de 100 ans.
 
21 685 135 571 dollars et 48 cents
 
Le jour du bicentenaire, le Président Jean Bertrand Aristide décide de jouer la surenchère en annonçant le montant exact que la France doit, selon lui, à Haïti : 21 685 135 571 dollars et 48 cents.
 
À l’époque, les diplomates français, ainsi que certains intellectuels haïtiens, raillent cette somme phénoménale, y voyant un simple coup de communication de la part d’un Président submergé dans la démagogie, cherchant à se maintenir au pouvoir à tout prix. Un groupe de 130 intellectuels haïtiens avait qualifié la campagne pour la restitution de “tentative désespérée” pour détourner l’attention de la “dérive totalitaire, l’incompétence et la corruption” du gouvernement de M. Aristide.
 
Une analyse économique faite par le journal américain New York Times révèle que les pertes à long terme causées par les versements d’Haïti à la France pourraient être étonnamment proches du chiffre avancé par Jean Bertrand Aristide. L’estimation du président haïtien pourrait même avoir été modeste.
 
Le journal américain a parcouru des milliers de pages d’archives gouvernementales pour calculer le montant payé par Haïti à la France sur plusieurs générations. Ces sommes n’incluent pas seulement les indemnités réglées aux anciens esclavagistes, mais aussi un prêt contracté pour aider à les financer. Au total, Haïti aura payé l’équivalent de 560 millions de dollars aujourd’hui.
 
Mais ce montant traduit mal la perte économique subie par Haïti. Avec l’aide de quinze économistes de renom à travers le monde, nous avons modélisé ce qui aurait pu advenir si cet argent avait été injecté dans l’économie haïtienne, au lieu d’être expédié en France sans biens ni services en retour.
 
Selon les estimations du journal, les paiements à la France ont coûté au développement économique d’Haïti entre 21 et 115 milliards de dollars de pertes sur deux siècles, soit une à huit fois le produit intérieur brut du pays en 2020.
 
La demande de restitution amplifiée 
 

Mois après mois, la campagne pour la restitution s’était intensifiée. Banderoles, autocollants, publicités gouvernementales et graffitis de soutien fleurissent à travers le pays.

Le gouvernement haïtien d’alors missione un cabinet français, Bichot Avocats, et un professeur de droit international, Günther Handl, pour rédiger des conclusions juridiques et trouver une juridiction devant laquelle Haïti pourrait porter l’affaire. Ce travail est détaillé dans des centaines de pages de documents et d’emails examinés pour la première fois par The New York Times.
 
Au plan juridique, les chances de succès paraissent faibles. Mais ce travail de fond semble moins avoir pour but de remporter un procès que de faire pression sur la France.
 
 

En demandant une restitution, Haïti, un pays né de la révolte d’esclaves la plus victorieuse au monde selon les historiens, frappait au coeur de l’identité nationale de la France, défenseure des droits de l’homme, et risquait d’inciter d’autres pays des Caraïbes et d’Afrique à suivre son exemple. La France passe rapidement à l’action. 


À l’automne 2003, la France nomme un nouvel ambassadeur en Haïti, Thierry Burkard. Ce dernier voit dans la campagne pour la restitution “un piège” qui risque d’ouvrir les vannes à des demandes similaires de la part d’anciennes colonies françaises. Selon le New York Times, l'ambassadeur Boukard admet aujourd'hui que la France et les USA ont orchestré le coup d'état contre Jean Bertrand Aristide.


En cette fin d’année 2003, les affrontements entre partisans et opposants de M. Aristide deviennent de plus en plus violents, et le gouvernement haïtien est accusé de réprimer la dissidence. Des organisations de défense des droits de l’homme notent que les forces de police et des “malfrats pro-gouvernementaux” attaquent les opposants politiques et la presse indépendante. Les autorités américaines accusent — et plus tard condamneront — certains membres de l’administration du président pour trafic de drogue. 

Les différentes manœuvres de l’ancienne métropole se sont intensifiées jusqu’à chasser Jean Bertrand Aristide au pouvoir en février 2004.

 

 

 

 Par : Daniel Zéphyr

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